C’est LE plat emblématique du dimanche midi que faisait notre petite grand-mère. A Orihuela, on l’appelle « arroz y costra » (riz et croûte), tandis qu’ailleurs c’est plutôt « arroz con costra » (riz avec de la croûte). Le « riz à la croûte » est une sorte de paella recouverte d’oeufs battus et gratinés, et une spécialité originale de la province d’Alicante.
Les villes d’Elche et d’Orihuela s’en disputent d’ailleurs l’origine; de notre côté, notre petite grand-mère, d’Orihuela, aurait appris la recette avec sa marraine de mariage, qui venait…d’Elche.
En guise d’introduction pour les hispanophones, citons le très sympathique article d’El Comidista (un site relié au quotidien El País), intitulé « Arroz con costra: el tesoro escondido de Alicante » (Le riz à la croûte: le trésor caché d’Alicante), qui nous a appris moult choses sur l’histoire de ce plat dont les premières mentions écrites datent du XVe siècle.
Ce plat est parfois surnommé « trésor caché » car lorsque l’on reçoit sa part de riz, on ne voit pas ce qu’il y a sous la croûte. Et l’on doit partir à la découverte des différents morceaux qui ont bien voulu nous être servis.
Compte tenu de la quantité de viande, de charcuterie et d’oeuf que cette spécialité comporte, c’était à l’origine un plat réservé aux riches, qui lorsqu’ils n’avaient pas de four dans leur demeure envoyaient leur personnel de maison porter le perol au four du village pour faire cuire les oeufs. Notre petit grand-père racontait qu’un jour, une grande famille envoya ses hommes faire cuire 2 peroles d’arroz y costra, plat qui faisait de l’oeil aux domestiques qui ne pouvaient y toucher. L’un deux, souhaitant pouvoir y goûter avec ses collègues, trouva un moyen original d’y parvenir. Une fois les riz cuits, il arracha un morceau de croûte sur le chemin du retour. Lorsque la maîtresse de maison le vit, après une phase de réprimandes, il lui rétorqua alors qu’un enfant avait craché sur la croûte depuis sa fenêtre et qu’il avait jugé nécessaire de retirer cette partie. La maîtresse de maison, dégoûtée, lui dit alors qu’il pouvait garder ce perol en cuisine, et que les maîtres n’allaient manger que le second…ce qui permit aux domestiques d’y goûter enfin.
Matériel et ingrédients pour 8 personnes:
- 800 g de riz rond de type S. Andrea ou Vialone (comme dirait l’autre: « le riz avec l’emballage violet de la Migros ») + le double de quantité d’eau
- 10 à 12 oeufs
- 500 g de poulet (de préférence sans les os)
- 500 g de ragoût ou de viande de côtelette de porc
- 400 g de pois chiches restant d’un cocido de la veille ou une boîte de pois chiches en conserve déjà cuits ou 160g de pois chiches secs (à faire tremper la nuit antérieure puis bouillis pendant 2h ou cuits à pression pendant 15 minutes)
- 1 blanco (saucisse dodue et « blanche »)
- 10 cm de morcilla negra (saucisse noire et compacte, à ne pas confondre avec la morcilla de cebollas). Notre grand-mère n’en mettait pas, mais pas mal de restos le font et on a trouvé ça bon.
- 20 cm de longaniza roja (saucisse rouge et allongée pouvant faire penser aux merguez MAIS ce ne sont PAS des merguez – ce serait trop facile sinon. Les épices sont différentes)
- 4 tomates mûres pelées et épépinées, coupées en petits morceaux
- du pimentón (paprika doux)
- du colorant alimentaire « jaune » en poudre…orange. Pas de safran ni paprika doux, bien du colorant sans goût. Aucune idée d’où le trouver en Suisse…mais si jamais il ressemble à ça:
Marche à suivre:
- dans une poêle, faire dorer la charcuterie coupée en tranches de 1 cm d’épaisseur (cela permet de la dégraisser facilement et de donner plus de goût que si on mettait la charcuterie crue avec le riz)
- une fois cuite, réserver cette charcuterie dans un plat
- dans un perol ou grosse casserole pouvant aller au four, faire revenir dans une généreuse dose d’huile les morceaux de viande.
- Quand la viande est dorée, rajouter les tomates et les laisser cuire une dizaine de minutes.
- baisser le feu, rajouter le pimentón (il ne doit jamais brûler) et un peu d’eau pour continuer à mijoter à feu doux pendant env. 1h. Il ne devrait plus y avoir d’eau à la fin.
- rajouter les pois chiches qui sont déjà cuits et bien mélanger le tout avant l’étape « finale » du riz
- rajouter le colorant alimentaire, le riz et le double de quantité d’eau (i.e. pour chaque bol de riz, 2 bols d’eau). Cuire pendant 15 minutes, sans remuer le riz (ce n’est pas un risotto). En remuant le riz, l’amidon qu’il contient a tendance à sortir et donnerait un aspect crémeux (ou collant) à la chose. Comme l’a si bien dit El Comidista dans son Hit Parade des crimes contre la paella, en position n°7, « on n’aimerait pas que cela se transforme en colle pour assembler des briques » (Regla número uno del cocinado de una paella: el arroz no se remueve. ¿Por qué? Porque no queremos que suelte el almidón y se nos convierta en engrudo para juntar ladrillos)
- préchauffer le four à 250°C
- après 15 minutes de cuisson du riz, disposer la charcuterie en l’enfonçant légèrement dans le riz, puis à l’aide de la spatule, faire quelques « sillons » dans le riz afin que l’oeuf puisse bien s’infiltrer ensuite (histoire de ne pas avoir une couche plate d’oeuf à la surface, car comme dirait l’autre un des charmes de l’arroz y costra est justement de chercher des morceaux de charcuterie dans la croûte).
- battre vigoureusement les oeufs, les verser sur le riz et rapidement placer le tout au four bien chaud. Ne plus ouvrir la porte du forte pendant le prochain quart d’heure, pour ne pas faire retomber le « soufflé ».
- cuire environ 15 minutes jusqu’à obtenir une croûte dorée, en veillant à ne pas mettre son perol / son plat trop près du haut du four: l’œuf allant gonfler, il risquerait de le toucher et de brûler…(ce qui nous est donc arrivé lors d’un premier essai ci-dessous).
- Quand la croûte ne subi aucune brûlure, ça donne plutôt ça 😉
- c’est prêt! A chacun sa part.
Et c’est là que l’étape du troc commence: ceux qui ont plein de morceaux de longaniza roja mais n’aiment pas cela les donneront à leurs voisins qui adorent ça, et vice-versa avec la viande et les autres saucisses…
Mais l’élément pour lequel il y a rarement de négociation, c’est le riz crousti-grillé-caramélisé du fond du plat. Appelée socarrat en valencien/catalan ou socarrao à Orihuela, c’est la partie de riz pour laquelle les convives se battent le plus souvent. Ce serait LA meilleure partie d’une paella (ou d’un arroz y costra).
La légende raconte que comme c’est souvent la grand-mère qui est au service, il y a souvent un petit-enfant en particulier qui en reçoit un peu plus que les autres…n’en déplaise à ses cousines 😉
Est-ce qu’on en refera? Obligé, car l’arroz y costra c’est sacré.
Note (très très) subjective: 20/20*
PS: pour ceux que le socarrat intéresse, on recommande l’article d’El Comidista « Comment réussir un bon socarrat ».
Dégustation: dimanche 19 avril 2020 – 13h
* en période de confinement, il se peut que la subjectivité soit encore plus subjective que d’habitude
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