Billets culinaires

Le Calandre (Sarmeola di Rubano, 3*)

Tout proche de Padoue, ce restaurant triplement étoilé à la créativité locavore de haut niveau est le fief de la famille Alajmo. Dîner là est une expérience haute en couleurs, qu’on recommande à tous ceux qui passeraient dans le coin, en particulier les amateurs de desserts impressionnants. En 2003, le chef Massimiliano a été le plus jeune chef au monde à décrocher 3 étoiles au Michelin, alors qu’il n’avait que 28 ans. Pas mal, non?

Lorsque le chef passe saluer les clients au milieu du repas, il s’en dégage une douceur apaisée et une humilité toute souriante. Un très beau moment.

La carte comporte 3 menus dégustation, tous à 225€: Classico (qui comporte les plats emblématiques du lieu, comme le cappuccino à l’encre de seiche ou la mozzarella à l’amande), Max (menu du moment du Chef Massimiliano) et Raf (menu de saison de son frère aîné Raffaele, sommelier et directeur général du groupe Alajmo).

Pour les plus petites faims, il est également possible de choisir 3, 4 ou 5 plats parmi tous ceux des 3 menus (135€, 170€ ou 200€). On suppose que cette flexibilité, assez rare pour un 3*, a eu comme côté moins plaisant de ralentir la cuisine car durant notre menu Max, il y a eu 3 temps d’attente vraiment longs entre les plats. 

4h30 à table pour 10 plats, c’est malheureusement à la limite exaspérant sur la fin, ce qui ne donne même plus envie de prendre un café (et d’éventuelles mignardises qu’on ne connaîtra jamais, s’il y en avait) et de réclamer le menu imprimé qu’on n’a bizarrement pas reçu alors qu’en allant au p’tit coin, on avait vu des rouleaux de papier pour une table voisine.

Le fait que sur 8 tables dans la salle nous étions visiblement la seule de « non-locaux » nous a peut-être (sûrement) porté un peu préjudice, car c’est la seule où Raf n’est pas passé saluer alors qu’il a papoté passablement longtemps à la table d’à côté (de grands habitués certes, vu la familiarité des discussions, mais cela ne justifie pas de traiter notre table comme une de seconde catégorie). 

Bref, ce n’est qu’un détail (on avait rien de spécial à lui dire) mais à force de faire des étoilés, c’est justement ce genre de différences de traitement que l’on remarque.

À part la longueur et ce détail, entendons-nous bien, on a passé un très bon et beau moment à Le Calandre. On le recommanderait à qui aime une cuisine contemporaine vivace, créative et ludique sur les bords, avec un fort ancrage local, le tout dans une ambiance élégante mais pas guindée, avec un service de très (très) haut vol. Peut-être le meilleur service en étoilé (avec Quique Dacosta à Dénia) qu’on ait rencontré à ce jour, avec un sommelier dynamique très sympa et à l’écoute.

Le moment qui nous a le plus impressionné? Quand un client a éternué du plus discrètement qu’il pouvait et qu’une demi-seconde après la serveuse lui tendait une boite de mouchoirs, sortant de nulle part, l’air tout naturel.

Au niveau du cadre, l’extérieur ne paie vraiment pas de mine. Un grand chien rose qui détonne dans le décor indique l’entrée. A l’intérieur, aucune fenêtre donnant vers le dehors, créant une atmosphère confinée, une sorte de « bulle ». Une salle avec ce qui semble être la table d’hôte se trouve à l’entrée, jouxtant la cuisine que l’on peut zieuter à travers une vitre. 

La salle principale disperse 8 tables du côté les murs, avec les chaises orientées en direction le centre, afin que les convives puissent observer le ballet des serveurs qui posent plateaux et bouteilles sur des tables hautes disposées justement au centre de la pièce. La lumière apparaît avec parcimonie, se concentrant vers le principal: les tables. Aux murs, un mélange de peintures contemporaines de plats et des pelotes de laine colorées.

N’oublions pas le lieu du repoudrage de nez: on y retrouve des photos humoristiques décalées,  vraiment sympas (qui choqueraient peut-être les clients coincés).

Pour en venir enfin au contenu des assiettes elles-mêmes, on a choisi le menu Max, avec une dérogation pour avoir 2 desserts différents (il nous FALLAIT tester la mozzarella d’amande). Et cela s’est composé des plats suivants:

  • arrivant avec le service du pain, un cône croquant et une sorte de gougère ultra-craquante et légère, excellente. On n’avait jamais goûté une telle structure, tellement raffinée. Une serviette avec différents petits pains et crackers aux graines venait compléter le tout pour la durée du repas, en plus des tranches de pain plus classique déposées dans le creux au centre de la table.
  • un trio s’amuse-bouches, avec de tête: une croquette de fromage au top du crousti-moelleux « léger », une chip croquante avec un tartare de thon et un petit bol avec du parmesan et des petits pois (avec des cosses séparées des coeurs)
  • Mer Méditerranée, soit un patchwork de saveurs et textures qui claque pour commencer le repas: dans un bol cohabitait étrangement harmonieusement une douce purée de tomate (qui nous a rappelé un ex-cel-lent gazpacho), du corail d’oursin, de la crevette et du calamar cru ultra-fondants, une purée d’avocat, des nouilles translucides asiatiques au basilic et touches de poivrons (de tête). Surprenant mais à l’assaisonnement qui rappelait finalement tellement l’Italie. Très belle entrée.
  • l’oeuf comme une ricotta (pour la texture), crème d’huître comme une mayonnaise et caviar, homard cru, lamelles d’asperge et gouttes de spiruline pour le bleu. Une grande entrée, avec un parfait équilibre entre les différentes saveurs qui s’assemblaient très harmonieusement. 
  • Salade croquante de coeur de boeuf, le plat qui nous a le plus surpris. De ces plats où on admire la créativité et la maîtrise du Chef. Il s’agissait d’un sandwich/mille-feuilles de 3 fines plaques de pain craquant agrémenté de graines, salade et d’une sorte de tartare de boeuf avec ce qu’on avait pris pour du pâté (quoi qu’en relisant l’intitulé, on réalise que c’était du coeur de boeuf?!?). Juste parfaitement équilibré en termes de textures et d’assaisonnement, avec le peps des grandes surprises. On a a-do-ré. La texture du pain permettait de le couper sans que toute la structure se disloque. Chapeau.
  • un ravioli de boeuf au bouillon, bon mais plus classique, avec 2 petits cubes croustillants
  • alors qu’on trouvait le temps un peu long, notre serveuse nous a apporté un « petit cadeau de la cuisine »: cannelone frit fourré à la ricotta et mozzarella de buffala, avec une sauce tomate (c’est une des entrées du menu Classico). C’était bon et roboratif, et aurait juste pu être un peu plus épongé de son huile.
  • duo de paccheri au poulpe, cubes de pommes de terre, et lait de lotte, plutôt très al dente, délicats
  • Arancino friable (crumbly arancino en anglais), posé sur un lit de sauce tomate, parfaitement croustillant certes et bon mais ressemblant à un arancino normal, alors que l’on s’attendait à quelque chose d’un peu plus revisité.
  • turbot aux noisettes, câpres et café. Pas le plus joli plat visuellement (selon nos goûts) mais un de ceux qui nous a le plus marqué car l’assemblage sauce-câpres-café était très intéressant. Excellent. Et Dieu sait qu’on aime pas spécialement le café en temps normal! Du très grand assaisonnement.
  • focaccia vénitienne en mode mini-burger (très) frit, betterave et roquefort assez présent. Le pain aurait pu être un peu plus égoutté; c’était bon pour qui apprécie le roquefort mais globalement un peu lourd.
  • du pigeon, sauce au vinaigre balsamique et kumquat, mille-feuilles vertical au foie. Viande ultra-tendre, sauce assez roborative, structure au foie excellente.
  • sphère piquée de pré-desserts: câpres avec une petit sauce blanche, pomme verte à la chartreuse, tartelette légère à la fraise, mini-cube d’une sorte d’excellent panforte, soit une masse aux amandes et fruits confits entre deux couche d’ostie)
  • Raf-Barbaro (du nom de Raffaele?), soit un duo de sorbets dont un à la rhubarbe, huile d’olive, tranche d’olive noire, pain au riz avec une compote de rhubarbe sur le côté. Intéressant et très bon.
  • Illusion (Chocolate Game 2019), LE dessert ludique par excellence. Attention les ballons, c’était vraiment trèèèèès bien fait en plus d’être très bon.  Jeu du chat et de la souris, bouchée cachée dans le décor, dessert à pêcher avec du fil dentaire à manger, faux beurre et explosions en bouche en veux-tu-en-voilà. On a adoré, forcément.
  • et enfin, le dessert piqué au menu Classico car on en rêvait depuis des mois: LA mozzarrella à l’amande. Un dessert en trompe-l’oeil de très – très – haut niveau. L’assaisonnement est identique à une vraie mozzarella: huile d’olive, origan, poivre, tranchette d’olive, basilic, qui se marie étonnamment fort bien avec la structure de sucre et surtout le remplissage à l’écume d’amande douce. Canonissime. Canonissime. Canonissime.

Lorsque les desserts arrivent, le pain placé au centre de la table est remplacé par une pelote de laine colorée, clin d’oeil au petit mot poétique du chef* qu’on reçoit en début de repas. Mot qui fait réfléchir au lien délicat mais solide que la cuisine crée entre les personnes. Comme le feraient l’aiguille et le fil.

La boucle est bouclée.

Est-ce qu’on y retournerait? Volontiers, pour tester un autre menu en cas d’humeur de craquage de budget.

Note subjective: 17/20

2019: 3 étoiles Michelin

*La cucina è paragonabile ad un ago che attraversando ripetutamente piccoli fori tende un filo così sottile e resistente da renderci tutti inconsapevolmente legati. / Like a needle pulling thread through a series of successive holes to create a delicate but sturdy seam, cuisine binds us together without even being aware of it. Massimiliano Alajmo


Le Calandre
1, via Liguria
35030 Sarmeola di Rubano (à 15 minutes en voiture du centre de Padoue)
Italie
www.alajmo.it/fr/sezione/le-calandre/le-calandre
Instagram: @alajmo

Visite: samedi 25 mai 2019 – 20h – env. 270 € / 310 CHF par personne

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